Parce qu’il a séjourné longtemps, enfant, dans la bergerie familiale en Cévennes, entouré d’outils rustiques et vernaculaires — La chambre des benjamins est aménagée dans l’extension la plus récente du mas, où sont entreposés, suspendus aux murs, bannes d’osier, brouette rudimentaire, clés pour les foins, râteau tortu, fauchet démesuré, cribleuse en châtaignier, tous faits de la main de ses aïeux — Jean-Adrien Arzilier projette encore aujourd’hui sur chaque chose le regard curieux qu’il avait alors, du temps où il ne se souciait guère de lever le mystère quant à l’emploi de ces objets.
Le travail artistique de Jean-Adrien Arzilier tend à donner davantage de mobilité et de mobilisation émotionnelle dans notre lecture du monde. Les objets qu’il détourne, réinterprète ou associe sont abordés comme autant de conceptions démontables, malléables et réassemblables. Dans chacun des objets qui inspire l’artiste, il y a originellement, en latence, une faille ou la poésie peut prendre racine. Pareils interstices se situent à la charnière des idées suggérées par leur fonction, leur forme, leur charge symbolique. Jean-Adrien Arzilier cultive ces espaces poétiques à l’instar de Mont/Shan/Yama (2008) en associant ici deux objets synthétisant radicalement la nature. L’un est artificiel, occidental et d’ordre pratique, l’autre est symbolique, oriental et vise l’esthétisme. Ses travaux jouent des réductions opérées par l’homme pour appréhender le monde, puisque celui-ci n’est pas lisible dans son ensemble.
Les instruments de représentation comme la cartographie le fascinent au plus haut point car ils témoignent des défaillances à figurer le réel de façon satisfaisante en s’en remettant aux doctrines synthétiques de la technique. Pourtant ancrées au monde, les cartes offrent des images abstraites qui surpassent largement la lecture que l’on peut en avoir techniquement. La plus absurde carte est aussi, conceptuellement parlant, la plus exacte. L’IGN a édité, en 1969, une carte, figurant une partie du désert de Mauritanie qui ne présente aucun signe cartographique tant l’étendue représentée est désertique. Les Roadmaps (2005/2007) de Jean-Adien Arzilier invoquent cette volonté de produire des vues qui dépassent le sujet qu’elles schématisent, Il s’agit de cartes routières des plus grands ponts du monde. Le cadrage et l’échelle font disparaître les côtes. Le sujet de ces cartes ne se définit alors pas par l’intérêt fonctionnel mais par une projection imagée à l’esthétique minimale. Dans la même veine, l’ensemble des Environs du pôle maritime d’inaccessibilité (2011) constitue une collection réunie par l’artiste de la partie maritime la plus étendue prélevée sur divers globes terrestres. Sur l’objet, il s’agit d’une zone où sont fréquemment relégués le cartouche technique et diverses illustrations ornementales. Le cadrage est cela même qui définit les travaux issus de relectures cartographiques de Jean-Adrien Arzilier. Ils livrent des points d’observation qu’il rend particuliers à la façon de hublots dans un paysage global. L’analogie avec ses recherches en photographie est évidente. Le travail de l’image est ancré géographiquement. Il présente un point de vue unique, qui se révèle par un cadrage arrêté dans l’espace et le temps. Jouer de ces contraintes c’est traiter de l’image et de l’art même. En revanche le phare se présente comme symbole absolu, une balise peut-on dire, des points d’observation multiples desquels on peut appréhender le monde. En effet, il se présente tout autant comme belvédère que comme repère, son étude permet certainement d’éluder, par la pensée du moins, les problématiques induites des points de focales de toutes représentations. Il résulte de cette étude un cliché panoramique grandeur nature capté au centre focal de la lentille de Fresnel du phare du Mont Saint-Clair à Sète. Les prismes de la calotte de verre qui diffracte ordinairement les faisceaux lumineux du phare à tous les points de l’horizon restituent une image déployable à l’infini de tous les azimuts.
Jean-Adrien Arzilier confronte aussi la limite immatérielle de l’horizon à des frontières autrement concrètes : le vacancier quittant la ville pour rejoindre le littoral, évoquera l’appel du large. Or il est amusant de constater qu’une sorte d’automatisme le pousse à délimiter un espace qui lui est propre. Il étend au sol un rectangle de tissu, le drap de plage, érige une toiture escamotable, le parasol. Ainsi il élève une clôture virtuelle dessinant les contours de son nouveau territoire. Cette attitude instinctive et individualiste livre une idée d’architecture primitive. Si l’aspect de Para (2011) donne à penser à un hybride entre un bunker et un bloc artificiel pour carapace de brise lame, il reprend en réalité l’exact volume de la serviette au parasol et réfère à ce systématisme. L’artiste matérialise la borne que par convention la courtoisie interdit, cet arbitraire espace privé impalpable.
Jean-Adrien Arzilier recherche l’essence même de la création et de la poésie dans des productions épurées, affranchies des préceptes de l’utilité.